Déjà
l’Epiphanie ! Il ne reste plus qu’à baptiser « le fils qui nous est
donné » pour en finir, pour qu’on n’en parle plus, pour qu’on retourne à
l’ordinaire (au temps ordinaire).
Alors que la
période liturgique appelée « Temps de Noël » va s’achever bientôt, le
dimanche prochain nous offre l’occasion de célébrer l’Epiphanie du Seigneur.
Pour nous plonger
dans la merveille de cette fête, il faudrait peut-être rappeler le "bon
vieux temps" des rapports entre Dieu et l’homme selon l’ancien testament.
Dans le jardin d’Eden, Dieu chaque soir venait causer avec l’homme (cf Gn. 3,8).
Puis intervint le malin. Et tout s’embrouilla. L’homme se mit à fuir Dieu qui
finalement l’éloigna et posta des anges à l’entrée du jardin pour l’empêcher de
revenir (Gn 3, 23-24). Un fossé s’était creusé et désormais ce face-à-face avec
Dieu deviendra d’abord une terreur (Juges 6, 22-23) puis le privilège de
quelques-uns. Et quand il arrive que Yahvé se montre, la tradition biblique
parle de « théophanie », manifestation de Dieu. C’est d’ailleurs un
autre nom de la fête de l’Epiphanie
(chez lez chrétiens d’Orient).
L’Epiphanie
est ainsi pour les chrétiens la fête de la manifestation du Messie juif (Jésus)
aux nations païennes à travers les rois mages. Il faut peut-être creuser un peu
cet évènement d’allure légendaire pour en saisir la portée pour notre foi.
Rappelons
que au cours de son cheminement avec le peuple d’Israël, Yahvé avait pris le
soin de glisser des évènements qui signifiaient clairement que non seulement il
n’était pas la propriété privée d’Israël, mais aussi qu’il était en cheminement
avec les autres peuples de la terre par des chemins propres à lui. En plus des
nombreuses prophéties qui font de Sion un pôle d’attraction pour toutes les
nations, un exemple éloquent en fut la bénédiction proférée sur le peuple par
Balaam, un devin païen (Nombres 23, 1-10).
Mais le vif
débat provoqué par l’entrée de l’apôtre Pierre dans la maison du soldat romain (cf
Ac 11) nous montre bien que malgré l’exemple vivant d’ouverture et d’offre de Yahvé
à tous que Jésus a été, ses disciples juifs avaient gardé bien au frais leur
mentalité protectionniste. Yahvé serait exclusivement pour le peuple juif, et
le Christ de même.
L’évènement
célébré à l’épiphanie révèle tout le contraire. Et pour cause. A des centaines
de kilomètres du territoire juif, l’étoile du Messie est apparue à des
chercheurs de Dieu, des savants du grand Orient païen. L’avènement du Sauveur
est annoncé à des gens qui "en principe" ne l’attendaient pas. Et les
faits vont à l’encontre du principe. Comment ont-ils reconnu l’étoile s’ils
n’attendaient rien ? Pourquoi se seraient-ils mis en route pour « se prosterner devant lui » s’il
ne correspondait à rien dans leur aspiration ?
On pourrait bien
être tenté de comparer leur démarche à celle d’une certaine reine de Saba venue
autrefois goûter à la sagesse de Salomon (1R 10, 1-13). Mais il faut bien accorder
tout son poids au verbe "se prosterner" ainsi qu’à la symbolique des
cadeaux offerts où figure l’encens, utilisé habituellement pour le culte.
L’Epiphanie
vient donc ouvrir et offrir l’Emmanuel à toutes les nations, à toutes les
cultures, à toutes les recherches d’absolu et de Dieu. Dieu fait donc éclater
les frontières juives qui pourraient enfermer et embrigader le Christ.
C’est
vraiment avec cette manifestation du Prince de la paix à des non-juifs que nous
pouvons chanter Jésus comme « le
Sauveur que le monde
attend ».
Pour coller avec "La joie de l’évangile" du pape
François, on dirait bien que l’épiphanie, c’est la sortie de Dieu vers les
périphéries de notre humanité. Une sortie qui nous doit provoquer.
Ce mystère
est grand, dirait saint Paul, lui qui a sué sang et eau pour que la foi chrétienne
aille au-delà des frontières du peuple élu. Et le mystère, c’est que, "dans
le Christ Jésus, ceux qui alors étaient loin de Dieu (les païens) sont associés
au même héritage que les élus par le
moyen de l’Evangile" (cf. Ephésiens 3, 6)
A quoi
pourrions-nous donc nous laisser provoquer ? Il faudrait déjà nous rendre
compte que le paganisme est en pleine mondialisation autant qu’en sérieuse
modernisation. Au point où on pourrait même parler de néo-paganisme. Tant de
recherches et de soifs de Dieu ont pris des masques variés et des expressions extérieures
agressivement diversifiées. Comme chrétiens, nous ne sommes pas à l’abri du
complexe de l’élue qui non seulement se prend pour le centre du monde mais
surtout voudrait jalousement garder son prince charmant pour elle toute seule.
En faisant
de la place dans nos crèches pour les trois personnages qui représentent les
rois mages, faisons un peu de place dans nos cœurs pour la lumière de Dieu par le moyen de l’Evangile.
Que cette
lumière humblement reçue nous transforme en phares pour guider et éclairer
l’obscurité des vies sans-Dieu ou contre-Dieu ainsi que les ténèbres des
existences humaines vidées de joie.
Debout,
peuple de Dieu, resplendis !
Et que
Dieu remplisse pour nous cette année nouvelle des lumières de paix, de joie et
de Bonheur profond !
Abbé Léon EDAYE